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De loin, Ayla crut d’abord que c’était Jondalar qui se dirigeait vers elle, portant quelque chose, sur le chemin le plus emprunté reliant les campements de diverses Cavernes amies. Elle sentit aussitôt son estomac se nouer. La taille de l’homme, la forme de son corps, sa façon de marcher lui étaient familières, mais lorsque celui-ci se rapprocha elle constata qu’il s’agissait de Dalanar, qui portait Bokovan.

Dalanar vit tout de suite les striures noires sur le front d’Ayla. Celle-ci remarqua son air surpris, puis son effort manifeste pour éviter de regarder le haut de son visage, et ce n’est qu’alors qu’elle se les rappela. Comme elle-même ne les voyait pas, elle avait tendance à les oublier.

Est-ce pour cette raison que Jondalar a une conduite si étrange ? se demanda Dalanar. Quand il avait invité le fils de son foyer à venir dîner chez les Lanzadonii en compagnie d’Ayla et de Jonayla, il avait été surpris par l’hésitation de Jondalar, et plus encore par son refus. Il avait prétexté avoir déjà accepté une autre invitation, mais avait eu l’air troublé et embarrassé, comme s’il avait cherché une excuse pour ne pas se joindre à eux ce soir-là. Dalanar se rappela les raisons que lui-même avait trouvées en son temps pour quitter une femme qu’il aimait. Mais je n’aurais pas cru que le fait qu’elle devienne Zelandoni l’aurait gêné, se dit-il. Jondalar semblait toujours fier des talents de guérisseuse d’Ayla, se contentant pour sa part de manier le silex en virtuose et de former ses apprentis.

— Je peux te porter un moment, Bokovan ? proposa Ayla. Dalanar aimerait bien se reposer un peu, ajouta la jeune femme avec un sourire en tendant les bras au garçonnet.

Celui-ci hésita un moment avant d’accepter son invite. En le soulevant, elle remarqua une fois de plus à quel point il était lourd. Ayla portant Bokovan, Dalanar donnant la main à Jonayla, le quatuor prit alors la direction du campement des Lanzadonii, Loup fermant la marche.

L’animal paraissait se trouver parfaitement à son aise dans un important rassemblement d’humains, ceux-ci ne semblant pas de leur côté se préoccuper outre mesure de sa présence. Ayla avait toutefois remarqué que les Zelandonii prenaient un plaisir tout particulier à voir la réaction des visiteurs ou des étrangers qui n’avaient pas l’habitude de voir un loup se déplacer si tranquillement au milieu d’êtres humains.

À leur arrivée, Joplaya et Jerika vinrent les accueillir, et Ayla remarqua là encore leur air surpris et leurs tentatives – assez maladroites – pour ignorer les striures qui marquaient désormais son front. Malgré la tristesse persistante qui affectait à l’évidence la superbe jeune femme à la chevelure noire que Jondalar appelait sa cousine, Ayla remarqua le sourire radieux et la lueur qui illumina ses beaux yeux verts lorsqu’elle prit son fils dans ses bras. Joplaya paraissait être plus détendue, mieux accepter sa nouvelle vie, et sincèrement ravie de voir Ayla.

Jerika elle aussi l’accueillit avec chaleur.

— Laisse-moi porter Bokovan, dit-elle à Joplaya, prenant l’enfant des bras de sa mère. Je lui ai préparé de quoi manger. Va donc faire un tour dans le campement avec Ayla.

Celle-ci s’adressa directement au garçonnet :

— Je suis contente de t’avoir rencontré, Bokovan. Tu viendras bientôt me rendre visite ? Je suis de la Neuvième Caverne, tu sais où elle se trouve ?

L’enfant la regarda un moment, puis proféra avec le plus grand sérieux :

— Voui.

Ayla ne put s’empêcher de remarquer à la fois les ressemblances et les différences entre Jerika, Joplaya et Bokovan avant que sa grand-mère ne l’emporte. L’aïeule était trapue, ses mouvements vifs et énergiques. Sa chevelure, jadis aussi noire que la nuit, était désormais striée de mèches grises. Son visage, rond et plat, aux pommettes saillantes, laissait maintenant apparaître de nombreuses rides, mais ses yeux noirs et bridés pétillaient de charme et d’esprit.

Ayla n’avait pas oublié Hochaman, l’homme qui avait été le compagnon d’Ahnlay, la mère de Jerika. C’était un grand voyageur, et sa compagne avait décidé de le suivre dans ses pérégrinations. Jerika était née en route. Ayla se rappela Dalanar racontant fièrement au visiteur S’Armunaï le long voyage d’Hochaman depuis les Mers Infinies de l’Est jusqu’aux Grandes Eaux de l’Ouest. Elle se dit que, alors même que l’histoire vécue était déjà en soi tout à fait exceptionnelle, c’était le genre d’aventure qui serait contée, racontée et reracontée, chaque fois embellie jusqu’à devenir une légende ou un mythe, jusqu’à ce qu’elle ne ressemble plus que de très loin à l’histoire originelle.

Dalanar avait rencontré Jerika peu après qu’il eut trouvé sa mine de silex, et il avait de prime abord été intrigué par cette femme qui ne ressemblait à personne, avant d’être carrément captivé. Plusieurs personnes s’étaient déjà rassemblées autour de Dalanar et de sa mine – créant ainsi le noyau de la Caverne qui prendrait plus tard le nom de Lanzadonii – lorsque Hochaman et Jerika étaient arrivés à son campement. La mère de Jerika était morte depuis plusieurs années. Leur apparence était si peu commune qu’il était évident qu’ils venaient de fort loin. Dalanar n’avait jamais vu de femme ressemblant de près ou de loin à Jerika. Elle était petite et frêle comparée à la plupart des autres femmes, mais l’intelligence et la force d’âme de cette jeune personne si exotique l’avaient littéralement fasciné. Il avait fallu quelqu’un d’aussi insolite pour lui faire oublier en fin de compte son amour si profond pour Marthona.

Joplaya était née au foyer de Dalanar. Ayla savait maintenant que ce qu’elle avait longtemps pressenti était vrai : Joplaya était autant l’enfant de Dalanar que celle de Jerika. Mais Jondalar n’était pas venu vivre avec les Lanzadonii avant que lui et Joplaya soient adolescents. Tous deux n’avaient pas été élevés comme frère et sœur, et Joplaya était tombée éperdument amoureuse de Jondalar, alors même qu’il était un « proche cousin », et qu’il n’était donc pas question qu’ils puissent se mettre en couple.

Joplaya est sa sœur au même titre que Folara, songea Ayla, essayant de réfléchir aux conséquences que pourraient avoir ces nouvelles relations familiales. Jondalar et Folara sont tous deux les enfants de Marthona, et Jondalar et Joplaya sont tous deux les enfants de Dalanar. Il suffit de les regarder pour s’en rendre compte.

Jondalar était une réplique parfaite de Dalanar, en plus jeune, tandis que Joplaya avait plus subi l’influence de sa mère ; mais elle était grande, comme Dalanar, dont certains aspects, plus subtils, se laissaient entrevoir : sa chevelure était noire, mais avec des reflets plus clairs, sans l’éclat de jais de celle de sa mère. Son visage était pour l’essentiel proche de celui du peuple de Dalanar, mais avec les pommettes saillantes de Jerika. C’étaient toutefois ses yeux qui étaient son trait le plus marquant : ni noirs comme ceux de sa mère, ni d’un bleu d’azur comme ceux de Dalanar – et de Jondalar –, les yeux de Joplaya étaient d’un vert profond avec des touches noisette ; ils présentaient un pli épicanthique comme ceux de sa mère, en moins prononcé toutefois. Jerika était de toute évidence une étrangère, mais par bien des aspects Joplaya paraissait plus exotique encore que cette dernière, justement à cause de ses ressemblances.

Joplaya avait décidé de s’unir à Echozar parce qu’elle savait qu’elle ne pourrait jamais avoir l’homme qu’elle aimait. Elle l’avait choisi, avait-elle confié un jour à Ayla, parce qu’elle savait que jamais elle ne trouverait un homme qui l’aimerait plus, ce en quoi elle avait probablement raison. Echozar était un homme aux esprits mêlés – sa mère était du Clan, et nombreux étaient ceux qui le trouvaient aussi laid que Joplaya était belle. Ce qui n’était pas le cas d’Ayla. Elle était sûre que Bokovan ressemblerait à Echozar, en grandissant.

Le garçon présentait tous les traits de son héritage peu ordinaire : la force physique de ceux du Clan, qu’il tenait d’Echozar, et sa haute stature, héritée de sa mère et de Dalanar, d’ores et déjà évidentes. Ses yeux n’étaient que légèrement bridés et presque aussi sombres que ceux de Jerika, mais pas tout à fait noirs. Des touches plus claires, une étincelle particulière leur conféraient une qualité qu’Ayla n’avait jamais vue dans des yeux aussi noirs. Ils étaient non seulement peu ordinaires mais singulièrement attirants. Elle sentait que Bokovan avait quelque chose de spécial et aurait apprécié que les Lanzadonii soient de plus proches voisins : elle aurait bien aimé le voir grandir.

Le garçonnet était à peine plus jeune que son fils la dernière fois qu’elle l’avait vu, et il lui rappelait si fort Durc qu’elle en avait presque mal. Ayla se demanda quel forme d’esprit il pourrait bien avoir : aurait-il en tout ou partie la mémoire de ceux du Clan et en même temps la capacité de créer des œuvres d’art et de s’exprimer avec des mots, comme le peuple de Dalanar et de Jerika ? Elle avait souvent eu ce genre d’interrogations au sujet de son fils.

— Bokovan est un enfant très particulier, Joplaya, dit-elle à sa mère. Lorsqu’il sera un peu plus grand, j’aimerais bien que tu acceptes de me l’envoyer à la Neuvième Caverne afin que je le garde quelque temps.

— Pourquoi ? s’étonna Joplaya.

— En partie parce qu’il se pourrait qu’il ait des qualités particulières susceptibles de le faire entrer dans la Zelandonia, et qu’il faudrait en ce cas que tu en sois informée, mais avant tout parce que je souhaiterais le connaître mieux, expliqua Ayla.

Joplaya sourit puis, après un silence :

— Et toi, Ayla, accepterais-tu d’envoyer Jonayla chez les Lanzadonii pour rester un certain temps avec moi ?

— Je n’y ai jamais songé, avoua Ayla, mais ça me paraît une bonne idée… d’ici à quelques années… si elle est d’accord. Mais pourquoi voudrais-tu d’elle ?

— Je n’aurai jamais de fille. Je n’aurai jamais d’autre enfant. J’ai trop souffert en donnant naissance à Bokovan.

Ayla se rappela les difficultés de son accouchement lorsqu’elle avait eu son fils Durc, celui qui était né au sein du Clan, et elle avait entendu parler des problèmes de Joplaya.

— Tu en es sûre, Joplaya ? Ce n’est pas parce que tu as eu un accouchement délicat que tous le seront nécessairement.

— Notre doniate m’a dit qu’à son avis je ne devrais pas réessayer. Selon elle, je risquerais d’en mourir. Je suis passée tout près avec Bokovan. Je prends le remède que tu as donné à la Zelandoni, et ma mère veille à ce que je ne l’oublie pas. Je le prends pour lui faire plaisir, mais si je ne le prenais pas, je pense que cela ne ferait aucune différence. Je ne crois pas pouvoir tomber de nouveau enceinte. Malgré ma mère, j’ai cessé de prendre le remède pendant un temps : je désirais un autre enfant, mais Doni a choisi de ne pas m’en gratifier, expliqua Joplaya.

Ayla n’avait aucune envie de se mêler de ce qui ne la regardait pas mais, en tant que Zelandoni, elle avait le sentiment qu’elle devait poser la question qui lui brûlait les lèvres, singulièrement maintenant.

— Honores-tu la Mère fréquemment ? Si tu veux qu’Elle t’accorde ce que tu souhaites, il est important que tu L’honores comme il convient.

Joplaya sourit.

— Echozar est un homme gentil et prévenant. Ce n’est peut-être pas celui que je voulais, Ayla…

Elle s’arrêta et, l’espace d’un instant, un air de désolation assombrit son expression. Ayla se rembrunit elle aussi, pour une raison diamétralement différente.

— … mais j’avais raison de dire que personne ne pourrait m’aimer plus qu’Echozar, et j’ai vraiment appris à l’apprécier comme il le mérite. Au début, il avait du mal à ne serait-ce que me toucher, de peur de me heurter, de me faire du mal, et parce que je crois qu’en fait il avait peine à croire que c’était son droit. Mais nous avons maintenant dépassé ce stade, même s’il se montre envers moi d’une telle reconnaissance que je suis obligée de me moquer un peu de lui pour lui faire comprendre que je suis sa compagne. Il a même appris à rire de lui-même. Non, je pense que nous honorons Doni comme il se doit.

Ayla réfléchit un moment. Il se pouvait que le problème vînt d’Echozar, et non de Joplaya. Il était à moitié issu du Clan, et il y avait peut-être une raison pour qu’un homme du Clan, en tout ou partie, connaisse des problèmes pour avoir un enfant avec une femme issue des Autres. Il se pouvait que la conception d’un enfant dans ces conditions fût un coup de chance, même si certains l’auraient qualifiée non de chance mais d’abomination. Ayla n’avait aucune certitude quant à la fréquence des accouplements de membres du Clan avec des représentants des Autres, ou concernant le nombre de leurs rejetons ayant survécu.

Tout le monde était au courant de l’existence de ces « esprits mêlés », mais Ayla n’en avait pas rencontré beaucoup. Elle s’arrêta pour y réfléchir : il y avait bien sûr Durc, son fils, et Ura au Rassemblement du Clan. Rydag au Camp du Lion mamutoï. Attaroa et d’autres parmi les S’Armunaï avaient peut-être eux aussi quelque chose du Clan. Echozar l’était également et, naturellement, il y avait Bokovan. La mère de Brukeval l’avait sans doute été à moitié elle aussi, ce qui expliquait son aspect si caractéristique.

Elle était sur le point de demander à Joplaya si la Mère était honorée comme il convenait lors des cérémonies et des festivités organisées par les Lanzadonii. Ces derniers ne constituaient encore qu’un groupe restreint, même si elle n’ignorait pas qu’ils commençaient à parler de l’endroit où ils implanteraient une nouvelle Caverne, dans un avenir indéterminé. Elle se dit que les convenances exigeaient qu’elle ait d’abord une conversation avec leur Zelandoni. Après tout, maintenant qu’elle faisait partie de la Zelandonia, c’est avec un autre de ses membres qu’elle devait d’abord discuter de sujets de ce genre. Je devrais peut-être consulter la Première, se dit Ayla, elle a sans doute son idée sur la question.

Echozar arrivait au campement et elle décida donc de passer à autre chose. Elle était ravie de l’occasion qui lui était offerte de cesser d’être Zelandoni pour n’être plus qu’une amie. Il la gratifia d’un large sourire, ce qui la surprit une fois de plus tant ce visage lui évoquait si fort le Clan. Une expression qui découvrait les dents avait une signification tout autre dans le clan où elle avait passé son enfance.

— Ayla ! Comme c’est bon de te voir ! s’exclama Echozar en l’embrassant.

Lui aussi avait remarqué les striures fraîches sur le front de la jeune femme et, s’il comprenait ce qu’elles signifiaient, il avait été adopté par le peuple de Dalanar et cela ne l’affectait donc pas de la même façon. Il s’attendait à ce que, étant acolyte, elle devienne un jour une Zelandoni. Il avait sans doute eu son idée sur la question, mais comme il avait été lui-même la cible de nombre de commentaires sur son apparence physique, il répugnait sans doute à évoquer tel ou tel aspect de l’apparence de quelqu’un d’autre.

— Et voilà le loup, ajouta-t-il, manifestant juste une légère appréhension lorsque Loup vint le flairer.

Les Lanzadonii étaient moins familiers que les Zelandonii avec l’animal et, même s’il se souvenait de lui, il lui fallait toujours un certain temps pour s’habituer à l’idée qu’un loup pût circuler librement au milieu des humains.

— J’ai entendu dire qu’il était là, continua-t-il, c’est comme cela que j’ai su que vous étiez arrivés. Je craignais qu’on ne vous voie pas, après avoir fait tout le voyage jusqu’ici. Certains des nôtres ont même envisagé de se rendre à la Neuvième Caverne pour vous voir avant votre départ. Tes parents mamutoï et leur ami des S’Armunaï ont bel et bien l’intention de vous rendre visite et certains des Lanzadonii pensent les accompagner.

Ayla se dit qu’il semblait beaucoup plus confiant et détendu. Ainsi, Dalanar avait raison : cela avait rendu terriblement service à Echozar d’être si facilement accepté par Danug, Druwez et, comment s’appelait-il déjà… ah oui, Aldanor. Elle était certaine que Jondalar leur avait lui aussi souhaité la bienvenue, à lui, à leur parentèle et à leurs amis proches. Jondalar avait sans nul doute réservé à Echozar le meilleur accueil… Mais pour elle il n’avait pas eu le début d’un petit mot gentil. La seule fois où elle l’avait vu depuis son arrivée, c’était dans les bois, quand elle l’avait trouvé nu en compagnie de Marona. Ayla fut contrainte de détourner le regard pour réprimer le serrement de gorge et les larmes qui lui montaient aux yeux, des sensations qui semblaient s’abattre sur elle aux moments les plus inattendus ces derniers temps. Elle dit à Echozar qu’elle avait une poussière dans l’œil avant de poursuivre :

— Ce n’est pas parce que je suis venue à la Réunion d’Été que tu ne peux pas nous rendre visite à la Neuvième Caverne, dit-elle. Elle n’est pas bien loin d’ici et rien ne serait plus facile. Je crois que Dalanar et Joplaya seraient intéressés par l’atelier que Jondalar a installé pour y former ses apprentis tailleurs de silex. Il en a six maintenant, expliqua-t-elle, d’une voix qui avait toutes les apparences de la normalité, ou presque.

Après tout, elle ne pouvait pas éviter de parler de Jondalar à Dalanar et Joplaya.

— Et puis, ajouta-t-elle, j’aimerais bien voir un peu plus longuement Bokovan, ainsi que vous tous, bien entendu.

— Je crois que ce jeune homme a complètement mis Ayla sous le charme, souligna Dalanar, ce qui fit sourire toutes les personnes présentes.

— Il deviendra grand et fort, intervint Echozar. Et je veux lui apprendre à devenir un bon chasseur.

Ayla le gratifia de son plus beau sourire : l’espace d’un instant, elle put s’imaginer qu’Echozar était un homme du Clan, fier du fils de son foyer.

— Il se peut qu’il devienne plus que grand et fort, Echozar, dit-elle. Je crois que c’est un enfant très spécial.

— Mais où est donc Jondalar ? s’enquit Echozar. Ne devait-il pas venir partager notre repas ce soir ?

— Je l’ai vu peu après midi : il sortait les chevaux avec Jonayla, et il m’a dit qu’il ne pourrait pas se joindre à nous, dit Dalanar, qui semblait déçu.

— J’avais l’intention d’emmener Jonayla, mais la réunion de la Zelandonia a duré plus longtemps que je ne le pensais, expliqua Ayla. Elle va nous rejoindre.

Tout le monde regarda son front.

— A-t-il dit pourquoi il ne pouvait pas venir ? demanda Echozar.

— Il a parlé d’autres projets, de promesses qu’il avait faites avant l’arrivée d’Ayla.

La jeune femme sentit son ventre se nouer. J’imagine les promesses qu’il a pu faire, se dit-elle.

 

 

Il faisait presque nuit quand Ayla expliqua qu’elle devait s’en aller. Muni d’une torche, Echozar la raccompagna, ainsi que Jonayla et le loup.

— Tu as l’air heureux, Echozar, lui dit Ayla.

— Je le suis, même si je continue à avoir du mal à croire que Joplaya est ma compagne. Il m’arrive de me réveiller la nuit ; je me contente alors de la regarder à la lueur du feu. Elle est si belle, si merveilleuse. Douce et compréhensive. Je me sens si chanceux que je me demande parfois comment j’ai fait mon compte pour la mériter.

— Elle a de la chance elle aussi, tu sais. J’aimerais bien que nous soyons plus proches de vous.

— Ce qui te permettrait de voir plus souvent Bokovan, n’est-ce pas ?

Elle vit son sourire découvrir l’éclat de ses dents.

— C’est vrai, j’aimerais bien vous voir plus, toi, Bokovan et Joplaya, mais aussi tous les autres, avoua Ayla.

— As-tu songé à rentrer avec nous et à passer l’hiver en notre compagnie ? demanda Echozar. Tu sais, Dalanar n’arrête pas de dire que toi et Jondalar serez toujours les bienvenus.

Ayla fronça les sourcils, les yeux perdus dans le noir de la nuit. Oui, bien sûr, Jondalar, songea-t-elle.

— Je ne pense pas que Jondalar accepterait d’abandonner ses apprentis. Il leur a fait des promesses, et l’hiver est la meilleure période pour travailler au perfectionnement des techniques, expliqua-t-elle.

Echozar garda un moment le silence.

— J’imagine qu’il n’est pas question pour toi de laisser Jondalar seul pendant une saison et de venir chez nous, avec Jonayla et tes animaux, bien entendu, dit-il enfin. Tu sais à quel point Joplaya aime Bokovan, mais je sais qu’elle adorerait accueillir ta fille dans notre foyer. On a dû te dire qu’elle passait beaucoup de temps avec Bokovan au campement de Levela.

— Je… je ne sais pas, je n’y ai jamais réfléchi. J’ai été si prise par ma formation pour la Zelandonia… dit-elle avant de chercher du regard sa fille, restée quelques pas en arrière.

Elle a sans doute trouvé quelque chose en chemin pour la distraire, pensa Ayla.

— Nous n’aurions rien contre une autre doniate… ajouta Echozar.

Ayla lui sourit, puis s’arrêta et lança à sa fille :

— Pourquoi traînes-tu ainsi, Jonayla ?

— Je suis fatiguée, mère, se plaignit la fillette. Tu peux me porter ?

La jeune femme prit sa fille dans ses bras et la posa contre sa hanche. Elle aimait bien le contact de ses petits bras qui enlaçaient son cou. Jonayla lui avait beaucoup manqué, et elle serra fort le corps mince contre elle.

Ils continuèrent de progresser en silence pendant quelque temps, puis perçurent des voix rauques. Devant eux, ils distinguèrent bientôt les lueurs d’un feu de camp derrière un bosquet d’épineux. Ils s’approchèrent encore, ce qui permit à Ayla de constater qu’il ne s’agissait pas d’un campement régulier. À travers le buisson, ils virent plusieurs hommes assis autour du feu. À l’évidence, ils étaient en train de jouer, et de boire un liquide contenu dans de toutes petites outres fabriquées à partir de l’estomac, quasiment étanche, d’animaux de petite taille. Elle connaissait la plupart des individus présents : plusieurs venaient de la Neuvième Caverne, le reste de plusieurs autres.

Laramar, connu pour avoir le don de fabriquer de puissants breuvages alcooliques à partir de presque tout ce qui était susceptible de fermenter, était de la partie. Si elles n’avaient pas le raffinement des vins fabriqués par Marthona, les boissons qu’il produisait étaient tout à fait convenables. Il ne faisait pas grand-chose par ailleurs et avait perfectionné ce qu’il appelait son « art », mais sa production était très importante et nombreux étaient ceux qui buvaient beaucoup trop sur une base régulière, ce qui ne manquait pas de créer des problèmes. Sa seule autre particularité était d’avoir un foyer plein d’une nombreuse nichée d’enfants la plupart du temps livrés à eux-mêmes, avec la complicité active d’une compagne plus que négligée, qui puisait largement dans la production de son conjoint.

Ayla et les autres membres de la Caverne prenaient plus soin des enfants que Laramar et Tremeda réunis.

Lanoga, l’aînée des filles de leur foyer, vivait désormais avec Lanidar, avec qui elle avait eu un fils, mais le jeune couple avait adopté tous ses frères et sœurs, dont Bologan, l’aîné, qui aidait à subvenir aux besoins des enfants. Il avait également aidé à construire leur nouveau logement, avec l’aide de Jondalar et de plusieurs autres. Sa mère, Tremeda, et Laramar vivaient également avec eux, à l’occasion, lorsqu’ils choisissaient de rester un certain temps dans un lieu qu’ils n’hésitaient pas à qualifier de « foyer », tous deux se comportant comme si c’était effectivement le leur.

Outre Laramar, Ayla remarqua qu’un homme portait sur le front les striures caractéristiques des Zelandonia. Lorsqu’il sourit, elle vit qu’il lui manquait les dents de devant et fronça les sourcils, comprenant qu’il s’agissait de Madroman. Avait-il déjà été reçu au sein de la Zelandonia, et tatoué ? Elle ne pouvait le croire. En regardant plus attentivement, elle remarqua que le tatouage présentait des traces de maculage : en fait de tatouage, il s’agissait plutôt d’une peinture, réalisée sans doute à l’aide des pigments dont se servaient certaines personnes pour se décorer le visage à l’occasion de cérémonies ou de festivités quelconques. Jamais, toutefois, elle n’avait vu quiconque s’orner le visage avec des signes distinctifs propres aux Zelandonia.

Voir Madroman lui rappela le sac à dos qu’elle avait trouvé dans la grotte et rapporté à la Première. Même s’il lui souriait invariablement et s’efforçait souvent de l’entraîner dans une quelconque conversation, elle ne s’était jamais sentie à son aise en présence de cet individu. Ce malaise évoquait en elle le pelage d’un cheval lorsqu’on ne le caresse pas dans le sens du poil. Autrement dit, il s’y prenait à l’envers.

Elle aperçut de nombreux hommes jeunes, qui parlaient et riaient fort, mais il y en avait également d’autres, de tous âges. D’après ce qu’elle savait de ceux qu’elle reconnaissait, leur contribution à la collectivité était des plus négligeables. Certains n’étaient pas très malins, ou se laissaient aisément entraîner. L’un d’entre eux passait le plus clair de son temps à se gorger de barma : il rentrait systématiquement chez lui le soir en titubant et on le trouvait plus souvent qu’à son tour dans des endroits inattendus, totalement inconscient, empestant l’alcool et le vomi. Un autre était connu pour être brutal sans nécessité, en particulier envers sa compagne et ses enfants, au point que la Zelandonia avait envisagé diverses façons d’intervenir, attendant simplement que sa compagne lance un appel à l’aide.

Puis, plus qu’à moitié caché dans l’ombre, elle aperçut Brukeval, assis un peu à l’écart, adossé à une haute souche, buvant lui aussi à même une outre. Son humeur ne cessait pas de l’inquiéter, mais c’était un cousin de Jondalar et il s’était toujours montré prévenant à son égard. Le voir en telle compagnie lui fendit le cœur.

Elle était sur le point de se détourner lorsqu’elle entendit Loup gronder sourdement. Puis une voix retentit, très fort, dans son dos :

— Tiens, voyez donc qui vient nous rendre visite ! Celle qui aime les animaux, accompagnée de deux d’entre eux.

Elle se retourna vivement, surprise. Deux animaux ? se dit-elle, mais je n’ai que Loup…

Il lui fallut un moment pour comprendre qu’il venait de qualifier Echozar d’animal. Elle sentit aussitôt la colère monter en elle.

— Le seul animal que je vois ici est un loup… mais peut-être pensais-tu à toi, répliqua-t-elle.

Certains de ceux qui avaient entendu sa remarque s’esclaffèrent, et elle vit l’homme froncer les sourcils.

— Je n’ai pas dit que j’étais un animal, proféra-t-il.

— Tant mieux. Jamais je n’aurais pensé te mettre dans la même catégorie que Loup… Tu n’es pas à la hauteur, lâcha-t-elle.

Plusieurs des participants à la petite fête écartèrent les buissons pour voir ce qui se passait. Ils virent Ayla portant sa fille sur la hanche, sa jambe devant le loup pour l’empêcher de bondir, et Echozar près d’elle, tenant une torche.

— Elle s’est approchée en douce pour nous observer, dit l’homme pour sa défense.

— Je marchais sur un chemin fréquenté par tous et je me suis arrêtée pour voir qui faisait tout ce bruit, expliqua Ayla.

— Qui est-ce ? Et pourquoi parle-t-elle de cette drôle de façon ? demanda un jeune homme qu’Ayla ne connaissait pas, avant d’ajouter, d’une voix trahissant sa surprise : Mais c’est un loup !

Ayla avait presque oublié ce problème d’accent, tout comme la plupart de ceux qui la connaissaient, mais il pouvait arriver qu’un étranger le lui rappelle. D’après le motif qui ornait sa chemise, et le style du collier qu’il portait, estima-t-elle, il venait d’une Caverne établie sur une autre rivière, vers le nord, un groupe qui n’assistait qu’irrégulièrement à leurs Réunions d’Été. Il n’était sans doute arrivé que depuis peu.

— C’est Ayla, de la Neuvième Caverne, celle que Jondalar a ramenée avec lui, expliqua Madroman.

— Et c’est une Zelandoni qui sait maîtriser les animaux, précisa un autre, en qui Ayla crut reconnaître un voisin de la Quatorzième Caverne.

— Elle n’est pas Zelandoni, intervint Madroman d’un ton condescendant. Ce n’est qu’un acolyte, encore en cours de formation.

À l’évidence il n’a pas encore vu mon nouveau tatouage, se dit Ayla.

— Lorsqu’elle est arrivée, elle était déjà capable de maîtriser ce loup ainsi que deux chevaux, reprit l’homme de la Quatorzième Caverne.

— Je vous avais bien dit qu’elle adorait les animaux, intervint le premier homme avec un ricanement, en désignant du doigt Echozar.

Ce dernier le foudroya du regard et se plaça devant Ayla, comme pour la protéger. Ces hommes étaient nombreux, et ils avaient absorbé en quantité le breuvage de Laramar, dont on savait qu’il avait la particularité de débrider les instincts les plus mauvais.

— Vous voulez parler des chevaux de cette Caverne dont le campement se trouve en amont ? demanda l’étranger. C’est là où on m’a d’abord installé, à mon arrivée. C’est elle qui les mène ? Je croyais que c’était cet homme et cette petite fille…

— Grise est mon cheval, intervint Jonayla.

— Ils sont tous du même foyer, dit Brukeval, se montrant à la lueur du feu de camp.

Ses yeux fixant Brukeval, puis Echozar, Ayla remarqua immédiatement leurs ressemblances. Brukeval était clairement une version à peine modifiée d’Echozar, bien qu’aucun des deux ne fût totalement issu du Clan.

— Je crois que vous devriez laisser Ayla poursuivre sa route, ajouta Brukeval. Et je crois aussi qu’il serait plus malin d’organiser à l’avenir nos petites fêtes à l’écart de ce chemin un peu trop fréquenté.

— En effet, ça me paraît une bonne idée, fit une voix qui ne s’était pas encore fait entendre jusqu’alors.

Joharran, accompagné par plusieurs hommes, apparut à la lueur de la torche tenue par Echozar. Certains des nouveaux venus portaient également des torches, éteintes, qu’ils s’empressèrent d’allumer à celle d’Echozar, ce qui permit aux autres de voir qu’ils étaient fort nombreux.

— Nous avons entendu le bruit que vous faisiez, et nous sommes venus voir ce qui se passait. Il y a des tas d’emplacements pour organiser tes petites beuveries, Laramar. À mon avis, vous n’avez pas besoin d’embêter les gens qui fréquentent les principaux chemins reliant les campements. Je vous conseillerais de quitter immédiatement cet endroit et d’aller vous installer ailleurs. Inutile que des enfants tombent sur vous demain dans la matinée.

— Il va quand même pas nous obliger à partir ! lança une voix avinée.

— Très juste, il peut pas nous y obliger, fit l’homme qui, le premier, avait vu Ayla.

— Non, pas de problème, intervint Laramar, ramassant plusieurs petites outres qui n’avaient pas encore été entamées, et les disposant dans une sorte de caisse. Mieux vaut trouver un endroit où on ne sera pas dérangés.

Brukeval se mit en devoir de l’aider. Il leva les yeux vers Ayla, qui lui sourit avec gratitude pour avoir pris son parti et suggéré qu’ils aillent s’installer ailleurs. Il lui rendit son sourire, mais d’une façon étrange, qui la laissa perplexe, après quoi il détourna le regard, sourcils froncés. Ayla posa sa fille à terre et s’agenouilla pour retenir Loup pendant que les hommes pliaient bagage.

— Je me rendais au campement des Lanzadonii pour parler à Dalanar, de toute façon, expliqua Joharran à Echozar. Pourquoi ne rentrerais-tu pas avec moi ? Ayla pourrait poursuivre son chemin en compagnie de Solaban et des autres.

Ayla se demanda de quoi Joharran avait à discuter avec Dalanar qui ne pût attendre le lendemain matin. Personne n’allait se déplacer en pleine nuit. Elle remarqua alors que certains des hommes installés précédemment autour du feu sortaient de derrière un buisson et suivaient la direction prise par les autres, leurs têtes se tournant pour voir partir Echozar, Joharran et deux autres hommes. Elle plissa le front, inquiète. Quelque chose n’allait pas.

 

 

— Je n’ai jamais rien vu de pareil avec la Zelandonia, dit Joharran. As-tu entendu quelque chose au sujet de la cérémonie qu’elle va organiser, à ce qu’on dit ? Ayla a reçu ses marques, mais on n’a pas encore annoncé son nouveau statut. D’habitude on le fait sur-le-champ. Est-ce qu’elle t’a dit quelque chose à ce propos ?

— Elle a été si occupée avec la Zelandonia que je ne l’ai pas beaucoup vue, répondit Jondalar.

Ce qui n’était pas tout à fait vrai. S’il ne l’avait pas beaucoup vue, en effet, ce n’était pas parce qu’elle avait été très occupée. C’était lui qui était resté à l’écart, et son frère ne l’ignorait pas.

— Bon, en tout cas, ils semblent être en train de préparer quelque chose de très important. La Première a longuement parlé avec Proleva, qui m’a dit que la Zelandonia souhaitait une immense fête, très élaborée. Ils ont même demandé à Laramar d’apporter son breuvage pour l’occasion. Nous sommes en train de mettre sur pied une partie de chasse, qui durera probablement un jour ou deux. Souhaites-tu te joindre à nous ?

— Oui, répondit Jondalar, sans doute un peu trop rapidement, ce qui amena son frère à lui jeter un coup d’œil interrogateur. J’aimerais bien.

Depuis l’incident, il n’avait pensé à rien d’autre qu’au fait qu’Ayla l’avait surpris avec Marona. Étant donné les circonstances, il ne pouvait se résoudre à se glisser tout simplement sous les fourrures à ses côtés. Il ne savait même pas si elle le laisserait faire. Il était certain de l’avoir perdue et redoutait d’en avoir la confirmation.

Il pensait avoir trouvé une excuse plausible pour ne pas retourner à leur campement une nuit de plus lorsque Proleva l’avait interrogé à ce propos. Il avait en fait dormi près de l’enclos aux chevaux, en se servant pour rester au chaud des couvertures pour les bêtes et du tapis de sol qu’il avait utilisé à la baignade avec Marona, mais il ne pensait pas pouvoir rester à l’écart plus longtemps sans susciter la curiosité de tout le campement. Partir en expédition de chasse réglerait le problème pour les deux jours à venir. Il n’avait surtout pas envie de réfléchir à ce qui allait se passer ensuite.

Même si Ayla essayait de se comporter comme si rien ne s’était passé, et si Jondalar croyait que sa volonté de l’éviter passait inaperçue, en fait le campement tout entier savait désormais que le couple battait de l’aile, et nombreux étaient ceux qui avaient deviné de quoi il retournait. Pour la plupart, Jondalar faisait preuve tout simplement de discrétion, et ils se comportaient comme si cette liaison n’existait pas. Mais la nouvelle selon laquelle le couple, qui s’adorait visiblement jusqu’alors, allait jusqu’à ne plus partager le même lit depuis l’arrivée d’Ayla, et ce alors même que Marona avait trouvé refuge dans un autre campement, s’était répandue très vite.

C’était le genre de commérages que les gens adoraient commenter. Le fait qu’Ayla ait reçu les marques l’élevant au rang de Zelandoni sans que la nouvelle eût été annoncée et que les plans pour une cérémonie grandiose eussent été en cours de réalisation ne faisait qu’ajouter un cachet supplémentaire, et délicieux, aux supputations qui se donnaient libre cours. Tout le monde se doutait que l’événement avait à voir avec l’intronisation de la nouvelle Zelandoni, mais personne ne savait quoi que ce soit de plus. D’habitude, tel ou tel membre de la Zelandonia laissait glisser une bribe d’information devant un questionneur particulièrement insistant, mais cette fois tous demeuraient bouche cousue. Certains allaient jusqu’à laisser entendre que même les acolytes ne connaissaient pas la raison véritable de l’organisation de ces festivités inattendues, même si tous faisaient mine d’être au courant.

Jondalar avait tout juste entendu dire qu’une cérémonie était en train de se préparer et, jusqu’à ce que Joharran lui ait demandé de participer à la partie de chasse, il ne s’en était pas préoccupé le moins du monde. C’était ensuite devenu une excuse pour s’éclipser pendant un temps. Il avait vu Marona à plusieurs reprises. Quant cette dernière avait eu vent des rumeurs concernant le refroidissement des relations entre Ayla et Jondalar, elle s’était fait un devoir de le sonder, mais il semblait avoir perdu tout intérêt envers elle. Il n’était guère allé au-delà d’une politesse empreinte de froideur lorsqu’elle lui avait adressé la parole, mais elle n’était pas la seule à souhaiter savoir à quel point les relations du couple étaient tendues. La nouvelle avait également amené Brukeval à se rendre au campement de la Neuvième Caverne.

Celui-ci, bien qu’il fût arrivé à la Réunion d’Été avec la Neuvième Caverne, avait depuis longtemps quitté le campement pour aller s’installer dans une des lointaines réservées aux hommes, montées à la périphérie du Camp de la Réunion d’Été. Certaines étaient utilisées par de jeunes gens récemment élevés au statut d’hommes faits, d’autres par des hommes plus âgés ne vivant pas encore ou ne vivant plus en couple. Brukeval était toujours resté seul. Il redoutait depuis toujours, sans le dire à personne, de se voir refusé, et n’avait jamais demandé à la moindre femme de vivre avec lui. Par ailleurs, aucune des femmes disponibles ne lui paraissait être réellement digne d’intérêt. Dans la mesure où il n’avait pas de famille proche ni d’enfants, il ne se sentait pas à sa place dans le campement principal, ni même dans les zones les plus fréquentées par les membres de la Neuvième Caverne. Au fil des années, tandis que la plupart des hommes de son âge prenaient compagne, il avait de plus en plus évité les activités ordinaires et les gens de sa connaissance et se retrouvait donc souvent, par défaut, en compagnie des fainéants qui tournaient autour de Laramar afin de pouvoir profiter du breuvage qu’il confectionnait, lui-même en abusant fréquemment pour trouver l’oubli qui allait toujours avec.

Brukeval avait essayé différentes lointaines réservées aux hommes lors de la Réunion d’Été, mais il avait fini par s’installer dans celle qui abritait nombre des hommes qu’il connaissait de la Neuvième Caverne ayant facilement accès au barma de Laramar. Ce dernier y dormait d’ailleurs lui aussi la plupart du temps plutôt que de retourner à la tente occupée par sa compagne et les enfants de cette dernière. Ceux-ci ne se montraient guère accueillants à son égard ces derniers temps, singulièrement depuis que Lanoga s’était mise en couple avec ce garçon au bras rabougri. Elle est devenue bien jolie, pourtant, se disait Laramar, cela aurait dû lui permettre de se trouver un compagnon plus digne d’elle même si, à ce qu’on disait, le garçon en question était un bon chasseur. Madroman trouvait lui aussi souvent refuge dans la lointaine des hommes plutôt que dans le foyer plus vaste réservé à ces prétentieux de la Zelandonia, où on continuait de ne le considérer que comme un simple acolyte, même s’il racontait à qui voulait l’entendre qu’il avait été appelé.

Brukeval n’appréciait guère les hommes dont il avait choisi de partager le toit, une bande d’oisifs sans ressort qui avaient peu de choses à offrir et semblaient ignorer le sens du mot « respect ». Il se savait plus intelligent et plus capable que la plupart d’entre eux. Il était lié aux familles de personnes qui devenaient souvent des meneurs, ou des meneuses, et il avait grandi en compagnie de gens responsables, brillants, souvent talentueux. Ceux dont il partageait la tente étaient pour l’essentiel paresseux, faibles, lents d’esprit, dénués de générosité et de toute autre qualité susceptible de racheter leurs défauts.

En conséquence, afin de raffermir leur propre estime de soi et de trouver un exutoire à leurs frustrations, ils nourrissaient leur vanité et leur prétention à être plus qu’ils n’étaient en manifestant leur profond mépris pour des êtres auxquels ils pouvaient se sentir supérieurs : ces animaux sales et stupides que l’on appelait Têtes Plates. Ils se racontaient entre eux que si ces derniers n’avaient rien d’humains ils étaient capables de faire preuve de ruse. Parce que les Têtes Plates présentaient une certaine ressemblance avec les vraies personnes, ils étaient parfois suffisamment malins pour troubler les esprits qui rendaient une femme enceinte de sorte qu’elle donnait naissance à une abomination, ce qui était parfaitement intolérable. Pour des raisons qui lui étaient propres, la seule chose que Brukeval avait en commun avec les hommes dont il partageait le toit était une haine profonde, viscérale, pour les Têtes Plates.

Certains de ces individus n’étaient que des brutes épaisses et, au début, un ou deux avaient même essayé de le provoquer en prétendant que sa mère était une Tête Plate. Mais après qu’il eut piqué quelques-uns de ses fameux accès de colère irraisonnée et exhibé sa force physique, aucun n’avait plus osé l’ennuyer avec cela, la plupart le traitant même avec plus de respect que tout autre occupant de la tente commune. Il avait par ailleurs une certaine influence auprès des chefs de la Caverne dans la mesure où il connaissait la plupart d’entre eux, et il avait plaidé à plusieurs reprises l’indulgence pour tel ou tel qui s’était retrouvé dans des ennuis plus graves qu’à l’ordinaire. Au point que nombre de ces hommes le considéraient comme une sorte de leader. C’était également le cas de certains membres des différentes Cavernes, qui estimaient qu’il pouvait avoir sur ses camarades une influence bénéfique au point que dès le milieu de l’été, si l’un de ces derniers faisait preuve d’une attitude particulièrement agressive, c’était à Brukeval que l’on venait s’en plaindre.

Lorsqu’il fit son apparition au campement principal de la Neuvième Caverne, ostensiblement pour rendre visite aux gens de sa Caverne et partager avec eux le repas de midi, les conjectures allèrent bon train. Ayla était partie tôt. Elle avait beaucoup de choses à faire au sein de la Zelandonia et avait emmené Jonayla pour la laisser en passant chez Levela. En fait, la plupart des femmes n’étaient plus là. Avec son talent désormais bien connu d’organisatrice, Proleva avait rassemblé toutes celles sur qui elle avait pu mettre la main, assignant telle tâche à celle-ci, telle autre à celle-là, tout cela dans le cadre des préparatifs d’un grand festin susceptible de combler tous les participants à la Réunion d’Été. Les seules femmes demeurant dans le campement étaient celles qui allaient se joindre à la chasse.

Proleva avait laissé de la nourriture pour le repas de midi des chasseurs, qui étaient en train de se rassembler au campement de la Neuvième Caverne. Par la suite, il leur faudrait se débrouiller pour trouver leur pitance au cours de la chasse. La plupart des participants avaient emporté des aliments séchés qu’ils avaient ajoutés à leur équipement : tentes, nattes à dormir, mais ils comptaient bien se nourrir du gibier qu’ils abattraient ou des végétaux qu’ils récolteraient au cours de leur expédition.

Brukeval étant réputé pour être un chasseur plus que convenable, Joharran l’invita à se joindre à eux. Brukeval n’hésita qu’un moment. Il s’interrogeait sur les relations entre Ayla et Jondalar et se dit que, à l’occasion des rapprochements qui accompagnaient toujours ce genre d’expédition, il serait peut-être en mesure d’en apprendre un peu plus.

Il n’avait jamais oublié la façon dont Ayla les avait tous affrontés lorsque Marona l’avait incitée à porter des vêtements parfaitement inappropriés à l’occasion de la fête organisée pour l’accueillir – or il avait remarqué que les femmes portaient toutes les mêmes, désormais. Il se rappelait avec quelle chaleur elle l’avait accueilli la première fois qu’ils s’étaient rencontrés, le sourire dont elle l’avait gratifié, comme si elle le connaissait depuis toujours, sans les hésitations ni la réserve que manifestaient la plupart des femmes à son égard. Il rêvait d’elle dans son si beau et si étrange costume matrimonial, se voyait souvent le lui ôter pièce après pièce… Même après toutes ces années, il s’imaginait encore par moments que c’était lui, et non plus Jondalar, qui s’étendait auprès d’elle sur ces douces fourrures.

Ayla s’était toujours montrée agréable avec lui, mais après cette première soirée il avait senti une certaine réticence à son égard, bien loin de ses premières manifestations de bienvenue. Au fil des années, Brukeval s’était replié sur lui-même, ce qui ne l’empêchait pas de connaître beaucoup de choses sur la vie commune d’Ayla et de Jondalar, jusqu’à des détails des plus intimes. Il savait entre autres que Jondalar s’accouplait depuis un certain temps avec Marona. Étrange choix… Il savait également qu’Ayla ne frayait avec personne d’autre, pas même lors des Fêtes pour honorer la Mère, et qu’elle n’était pas au courant pour Jondalar et Marona.

Brukeval retourna à sa lointaine pour y prendre ses sagaies. Le temps qu’il revienne au campement de la Neuvième Caverne, l’idée de cette expédition de chasse l’excitait plutôt. Depuis qu’il avait décidé de s’installer avec les compagnons dont il partageait la lointaine, on ne lui avait jamais demandé d’y participer. En règle générale, la plupart des responsables de ces parties de chasse ne se donnaient pas la peine de demander aux hommes de cette tente de se joindre à eux, et ceux-ci n’organisaient que très rarement leurs propres expéditions, à la seule exception de Brukeval, qui partait souvent seul et avait appris au fil des années à trouver sa propre subsistance lorsque le besoin s’en faisait sentir.

Les autres se contentaient d’ordinaire de quémander leur pitance à telle Caverne ou à telle autre, en retournant souvent au campement de leur Caverne d’origine. Madroman, lui, n’avait aucun souci pour les repas. Il les partageait en général avec les membres de la Zelandonia, qui étaient d’ordinaire fort bien approvisionnés par les différentes Cavernes, la plupart du temps en échange de tel ou tel service, mais également parfois de requêtes particulières. Laramar lui aussi disposait de ressources qui lui étaient propres : il troquait son barma, et n’avait aucun mal à trouver son content de clients.

Il n’était pas inhabituel que les jeunes hommes résidant dans les locaux qui leur étaient réservés se procurent de la nourriture ou des repas dans un campement ou dans un autre, mais ils s’efforçaient d’ordinaire d’apporter en échange leur contribution, comme la participation à une expédition de chasse, à la récolte d’aliments comestibles, ou à d’autres travaux pour la communauté. Et même s’il était assez courant que ceux qui avaient depuis peu acquis le statut d’hommes adultes créent des problèmes, on attribuait en général cela à de forts tempéraments et on avait tendance à les tolérer, en particulier les hommes plus âgés qui se rappelaient leur propre jeunesse. Mais s’ils causaient trop de tracas, ils recevaient parfois la visite de responsables de la Caverne ayant le pouvoir de leur infliger une punition, qui pouvait aller, dans le pire des cas, jusqu’au bannissement du campement de la Réunion d’Été.

Tout le monde savait que les hommes partageant la lointaine de Brukeval n’étaient plus tout jeunes, et que l’on ne pouvait qu’exceptionnellement leur mettre la main dessus lorsqu’il fallait effectuer de gros travaux. Mais on ne manquait jamais de nourriture lors des Réunions d’Été, et quelqu’un qui faisait son apparition au moment du repas n’était jamais chassé, même s’il n’était visiblement pas le bienvenu. Les occupants de la lointaine où Brukeval avait trouvé refuge étaient en général assez malins pour ne pas se montrer trop souvent dans le même campement. Ils se répartissaient d’ordinaire de façon à ce que tous n’apparaissent pas en même temps au même endroit, à moins qu’ils n’aient entendu parler d’un véritable festin, comme à ces occasions où l’un ou plusieurs des campements décidaient d’organiser des repas regroupant l’ensemble de la ou des communautés. Mais avec leurs petites fêtes souvent bruyantes, fréquemment entrecoupées de rixes, leur comportement, leur apparence négligée, leur répugnance à participer aux tâches de la communauté, ces hommes avaient fini par n’être plus qu’à peine tolérés.

Leur lointaine était toutefois le seul endroit où Brukeval pouvait noyer sa culpabilité secrète et sa douleur à l’aide du breuvage de Laramar. Dans les brumes de l’alcool, son cerveau ne contrôlant plus sa pensée consciente, il était libre de penser à Ayla comme bon lui semblait. Il pouvait se rappeler l’air qu’elle arborait lorsqu’elle avait fièrement affronté les rires de la Neuvième Caverne, le beau sourire qu’elle lui avait réservé, plaisantant avec lui, s’adressant à lui comme si elle pensait qu’il était un homme comme les autres, voire même beau et charmant, et non laid et court sur pattes. Les gens le qualifiaient de Tête Plate mais non, il n’en était pas une. Je ne suis pas une Tête Plate, se répétait-il. C’est juste que je suis court sur pattes et… laid.

Caché dans l’obscurité, le ventre plein du puissant breuvage de Laramar, il pouvait rêver d’Ayla dans sa tunique si spectaculaire, si exotique avec ses beaux cheveux d’or retombant sur son visage, avec son bijou en ambre niché entre ses deux seins fermes et nus. Il pouvait s’imaginer caressant ces seins, touchant ces mamelons, les prenant dans sa bouche. Il lui suffisait d’y penser pour avoir une érection, et son désir était tel qu’il lui suffisait de se toucher pour faire jaillir sa semence.

Dès lors, il pouvait se glisser dans sa couche déserte, et rêver que c’était lui qui se tenait aux côtés d’Ayla, et non son cousin, l’homme de haute stature aux cheveux jaunes et aux yeux d’un bleu profond, cet homme parfait que toutes les femmes désiraient. Mais Brukeval savait qu’il n’était pas parfait. Jondalar s’était accouplé avec Marona, sans le dire à Ayla, en essayant de le cacher à tout le monde. Il avait ses petits secrets, lui aussi, et maintenant Ayla dormait seule. Jondalar avait passé la nuit à la belle étoile à côté de l’enclos aux chevaux, en utilisant leurs couvertures. Ayla avait-elle cessé d’aimer Jondalar ? Avait-elle découvert sa liaison avec Marona et cessé d’aimer cet homme qui était tout ce que Brukeval rêvait d’être ? L’homme qui était le compagnon de la femme qu’il aimait plus que la vie ? Avait-elle besoin de quelqu’un pour l’aimer, désormais ?

Même si elle cessait d’aimer Jondalar, il savait qu’il était peu probable qu’elle le choisisse, lui, mais elle lui avait de nouveau souri aujourd’hui, et ne semblait plus aussi distante. Par ailleurs, l’arrivée de Dalanar et des Lanzadonii lui avait rappelé que certaines femmes d’une grande beauté pouvaient parfois porter leur choix sur des hommes laids. Il n’était pas une Tête Plate et avait horreur de se dire qu’il pouvait présenter une quelconque ressemblance avec eux, mais il avait bien conscience que Echozar, cette abomination née d’esprits mêlés, dont la mère était une Tête Plate, s’était mis en couple avec la fille de la seconde femme de Dalanar, celle que la plupart des gens trouvaient d’une beauté si exotique. Donc, c’était possible. Il devait éviter de se faire trop d’illusions, de se donner trop d’espoirs, mais si Ayla avait besoin de quelqu’un, de quelqu’un qui jamais, aussi longtemps qu’il demeurerait en vie, ne s’accouplerait avec une autre qu’elle, qui n’aimerait jamais aucune autre femme jusqu’au terme de son existence, il pourrait être celui-là.

Le Pays Des Grottes Sacrées
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